Alors que le Ghana s’apprête à enterrer enfin Jerry Rawlings, dont les deux principaux partis du pays se disputent son héritage politique.
Les hommages nationaux commencent dimanche et dureront quatre jours, avant les funérailles le 27 janvier à Accra, la capitale.
D’abord prévues le 23 décembre, les obsèques ont été annulées au dernier moment, puis repoussées de plus d’un mois, après des batailles entre sa famille, les chefs traditionnels, et des responsables politiques.
Parvenu au pouvoir en 1981 après deux coups d’État successifs, Jerry « JJ » Rawlings s’y est maintenu pendant 19 ans, dont 11 ans de dictature militaire et deux mandats présidentiels. Il reste aujourd’hui une figure tutélaire dans ce pays d’Afrique de l’Ouest, mais aussi un symbole du panafricanisme sur le continent.
A quelques jours de la cérémonie funéraire, qui se tiendra place de l’Indépendance, symbole de la victoire sur l’Angleterre coloniale, le site et l’avenue adjacente grouillaient déjà de militaires.
« Ils ont peur qu’il y ait du grabuge. Tout le monde veut mettre la main sur notre ancien président », commente Esther Amoo, une commerçante voisine en regardant les soldats venus s’entraîner pour la cérémonie, fusil d’assaut à l’épaule. « Depuis que JJ est mort, c’est le bazar partout! ».
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L’organisation des funérailles est en effet devenu un trophée politique très convoité, d’autant plus que Jerry Rawlings est mort en pleine campagne présidentielle, à quelques semaines à peine du scrutin.
Son statut lui donne le droit à des funérailles nationales, mais le Congrès démocratique national (NDC), son parti, actuellement dans l’opposition, réclamait d’être associé à leur organisation.
Un cadre du parti a même menacé d’aller déterrer son cadavre pour « le parti qu’il a fondé » puisse l’inhumer « une nouvelle fois ».
– Ancrage démocratique –
Pourtant dès 2009, la rupture était bel et bien consommée entre Jerry Rawlings et le NDC, dont il qualifiait les aînés de « vieux nains maléfiques » et les cadets de « bébés aux dents acérées ».
Il avait même aidé Nana Akufo-Addo, l’actuel président, à remporter sa première élection en 2016, face à John Mahama, le candidat du NDC. En 2020, les deux adversaires de toujours s’affrontaient une nouvelle fois, mais Jerry Rawlings n’était plus là arbitrer le duel.
« Toute cette histoire d’affiliation politique est une vaste blague », tranche Emmanuel Gyimah-Boadi, politologue ghanéen et cofondateur du think tank Afrobarometer.
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« Jerry Rawlings était profondément démocrato-sceptique et n’a jamais manqué une opportunité d’exprimer son dégoût pour le multipartisme. Pour lui, il s’agissait d’une invention de l’Occident qui ne convenait pas à l’Afrique. Il est donc absurde que nos partis actuels s’en réclament aujourd’hui! ».
Paradoxalement, c’est pourtant le solide ancrage du Ghana dans la démocratie qui constitue le principal legs de Jerry Rawlings. Un virage initié de mauvaise grâce, après 11 ans de dictature militaire.
« Les Ghanéens ont toujours considéré le monopartisme comme une aberration », assure Emmanuel Gyimah-Boadi.
Sous la pression populaire et craignant d’être délogé par un coup d’Etat comme son prédécesseur Kwame Nkrumah, Jerry Rawlings fait adopter en 1992 la Constitution de la IVe République, destinée à démilitariser la vie politique et à instaurer le multipartisme.
En 2000, au terme de ses deux mandats successifs autorisés, Jerry Rawlings accepte à la surprise générale de céder le pouvoir à l’opposant John Kufuor, vainqueur de l’élection présidentielle.
En respectant sa propre Constitution, il a permis au Ghana d’entrer dans l’alternance politique.
Proche de Sankara et Kadhafi, Jerry Rawlings avait entrepris, au moment de sa prise de pouvoir, de restructurer l’économie autour de principes socialistes et rêvait une société égalitaire libérée de « l’impérialisme ».
– Pragmatisme économique –
Et pourtant, la famine dévastatrice de 1983 causée par une terrible sécheresse le forcera à accepter un accord avec le Fonds monétaire international (FMI), et fait du Ghana l’un des premiers pays africains à s’engager dans le nouveau libéralisme économique.
Tout en appliquant la politique d’ajustement prescrite par le FMI, Rawlings parvient à maintenir son cap social: investissements publics, aides sociales, mesures compensatoires sur les salaires…
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« Cette volte-face pragmatique de Rawlings a sauvé le pays de l’abîme et a posé les fondations de sa croissance », résume Emmanuel Gyimah-Boadi.
Reste néanmoins une ombre au tableau: plus de 300 exécutions extra-judiciaires ont été recensées sous son régime, et jusqu’à sa mort, Jerry Rawlings a toujours refusé d’offrir excuses ou réparations aux familles des victimes.
« Sa ligne de défense était de dire que certains le méritaient, voire +qu’on ne fait pas d’omelette sans casser des oeufs+ », soupire Emmanuel Gyimah-Boadi. « Pour moi, c’est l’aspect le plus sombre de son héritage: il nous a aussi légué cette impunité ».